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Enjeux et défis de la densification douce

La région métropolitaine de Québec est l’objet d’un étalement urbain qui s’est grandement accéléré depuis l’époque de l’après-guerre. Attirées par la nature, les grands espaces et le bas prix des terrains, plusieurs familles sont conquises par les milieux périphériques de faible densité. Pourtant, ce type de développement n’est pas viable à long terme, s’avérant extrêmement coûteux pour la société et néfaste envers l’environnement. La société québécoise fait également face à un vieillissement soutenu de la population et un taux de natalité en deçà du taux de renouvellement. Ainsi, plusieurs régions du Québec, dont celle entourant la ville de Québec, connaîtront inévitablement un déclin de leur population au courant du XIXe siècle. Dans un tel contexte, la consolidation de la ville sur elle-même s’avère plus que jamais pertinente aujourd’hui.

Densifier les banlieues ?

Le terme densification est maintenant sur toutes les lèvres dans le domaine de l’aménagement et du design urbain au Québec. Pour plusieurs, l’image de la densification se traduit par l’image de la ville verticale, mais ce ne sont pas tous les québécois qui aspirent à vivre dans des tours de condominiums, bien au contraire. Si les québécois sont encore nombreux à opter pour l’habitat individuel, pourquoi alors ne pas s’y intéresser davantage? D’ailleurs, les banlieues vieillissantes de première et de deuxième couronne sont propices à accueillir des formes de densification plus douces et présentent des potentiels d’intervention intéressants pour les designers urbains. Mais les obstacles sont nombreux, notamment la rigidité des cadres règlementaires urbanistiques, des types architecturaux mal adaptés aux transformations, et la réticence des résidents face aux changements (NIMBY), pour n’en nommer que quelques-uns. Comment alors densifier les banlieues sans compromettre les avantages qui y sont associés?


Cet essai abordera le phénomène de la densification douce, qui consiste à densifier les quartiers de maisons unifamiliales sans pour autant compromettre l’identité de l’ensemble. En Amérique du Nord, plusieurs villes ont mis en place des politiques de densification des banlieues, dont les appellations varieront d’une ville à l’autre : on parlera de suburban infill, housing infill, laneway housing, suburban retrofit, etc. Vancouver, avec ses laneway houses, ou Portland (Oregon), avec ses skinny homes, sont des exemples de villes ayant adopté des politiques encourageant la densification des tissus de banlieue d’après-guerre.


Nous tenterons de mieux comprendre les contraintes, les enjeux et les défis de la densification douce des banlieues d’après-guerre, à l’aide de projets mis de l’avant ou d’expériences vécues par quelques villes dans le monde. Afin d’explorer les différentes facettes de la densification douce, nous nous pencherons sur le cas du projet BIMBY en île-de-France, le laneway housing à Vancouver, l’expérience de la ville de Christchurch en Nouvelle-Zélande, en terminant avec un regard sur une proposition de design pour la ville de Surrey, en Colombie-Britannique.

Motivations et potentialités de la densification douce

Si la densification douce des tissus de faible densité est un phénomène qui existe il y a déjà quelques décennies, de telles transformations morphologiques demeurent peu documentées, et les véritables projets urbains réalisés sont rarissimes. Néanmoins, des initiatives prennent forme dans quelques pays. C’est notamment le cas de la France, qui a vu naître en 2009 un groupe de recherche-action sur la densification des tissus pavillonnaires. Le projet BIMBY, acronyme pour « Build in My Back Yard », s’inscrit en opposition au movement NIMBY (Not in my back yard). Dans le cadre du projet BIMBY, les villages de Tremblay-sur-Mauldre et Essarts-le-Roi, deux communes périurbaines Franciliennes où 80% de la population habite des maisons individuelles, ont servi de villages pilote dans le cadre d’une étude sur le potentiel de la démarche BIMBY (voir figure 1). Les propriétaires  de maisons se sont montrés très intéressés face à l’initiative; sur une population d’environ 1000 habitants à Tremblay-sur-Mauldre, 59 personnes se sont entretenues avec un architecte afin de discuter des possibilités quant à l’intégration d’un projet de densification douce sur leur terrain. Ces entretiens se sont soldés par l’élaboration de projets totalisant un potentiel de 79 logements, ce qui pourrait couvrir  l’ensemble des besoins en logement de la commune pour 10 ans (Miet 2012). Bref, il semble donc y avoir un intérêt marqué pour ce genre de redéveloppement.

Quels types de développement pour quelles formes urbaines?

La forme urbaine d’un tissu de faible densité a une incidence sur son potentiel de développement. Les développements résidentiels peuvent prendre différentes formes selon la configuration du parcellaire, le mode d’implantation, ou le tracé du système viaire. À Vancouver, par exemple, les banlieues intègrent souvent des ruelles qui servent d’entrée de service. Cela a favorisé l’adoption d’une politique visant à permettre la construction dans les cours arrière des maisons, face aux ruelles (voir figure 2). En France, les constructions dites «en diffus» forment une part importante des constructions unifamiliales (Miet 2010). Ce genre de développement s’effectue à l’initiative des propriétaires, sans l’intervention de promoteurs immobiliers. De par leur leurs « micro dents creuses » et leur opérationnalisation à des échelles très fines, ces ensembles se prêtent bien aux défis de la densification (Miet 2010 : 7).

 

Le cas de Tremblay-sur-Mauldre en est justement un où la forme urbaine est éparse et irrégulière, offrant ainsi une flexibilité propice au redéveloppement (voir figures 2 et 3). Mais au Québec, comme à bien des endroits dans le monde, les tissus de banlieue d’après-guerre prennent généralement la forme de lotissements monofonctionnels, sans ruelles, dans lesquels les modes d’implantation sont réguliers et standardisés. Or, le lotissement a la réputation d’être « la forme urbaine la moins apte à l’évolution morphologique et réglementaire » (Trottin 2004, cité dans Desgrandchamps et al. 2010 : 118). En effet, il semble exister peu d’exemples de lotissements standardisés ayant accueilli un nombre important d’unités de logement additionnelles.

Figure 1 – Exemple de densification proposé par le projet BIMBY
www.bimby.fr

Nombreuses sont les motivations à vouloir densifier les secteurs de maisons individuelles Bien sûr, toute la collectivité y gagne, car le redéveloppement permet de freiner l’étalement urbain et ainsi de limiter les coûts en infrastructures. Mais les bénéfices financiers s’appliquent également aux propriétaires participants, qui ont l’occasion de mettre en valeur le patrimoine foncier de leur terrain, que ce soit par la vente d’une partie de celui-ci ou la construction d’un logement supplémentaire. Quant aux nouveaux habitants potentiels, plusieurs y trouveront leur compte. Prenons par exemple les familles qui voudront partager leur terrain avec un parent vieillissant qui préférera rester près de sa famille au lieu de s’exiler dans une maison de retraite, aux jeunes voulant accéder à la propriété à prix abordable, aux personnes monoparentales, etc. En fait, le nouveau ménage qui cherche à s’installer dans le quartier pourra le faire à coûts réduits, étant donné la diminution de la superficie de terrain accordée par ménage. À tire d’exemple, les coûts des laneway houses construits à Vancouver sont bien moins élevés que ceux des propriétés standard.


Ce type de développement est également intéressant dans la mesure où la densification est effectuée de manière ascendante, c’est-à-dire que les projets sont initiés par le citoyen. Ce dernier prend ainsi le rôle de maître d’œuvre du développement résidentiel (Miet, 2012). Le développement est toutefois conditionné par la collaboration des acteurs municipaux, et appelle ainsi à la concertation. C’est également une occasion rêvée pour les architectes de participer activement à la production de l’habitat, une tâche trop souvent dévolue aux promoteurs immobiliers. En plus d’être appelés à la participer à la mise en forme de ce type d’habitat, les architectes pourront servir de médiateur entre le propriétaire, devenu maître d’ouvrage, et la municipalité, qui pourra adapter sa règlementation au besoin. Le succès des entretiens entre les propriétaires et les architectes dans le cadre du projet BIMBY sont encourageantes. Pourquoi les municipalités ne prendraient-elles pas l’initiative d’engager un/des architecte(s) au service des citoyens intéressés à densifier, afin de les aider à imaginer un scénario adapté à leurs besoins?

Figure 2 – Vue satellite d’un secteur de banlieue typique de Vancouver

Google Earth 2012

Figure 3 – Exemple de laneway house à Vancouver

http://www.egodesign.ca

L’îlot est traversé par une ruelle, sur laquelle plusieurs garages sont souvent déjà construits. La construction de petites unités de logements en bordure des ruelles peut se faire de manière intéressante, offrant un accès direct à l’espace public, sans qu’il ne soit nécessaire de diviser le terrain. Plusieurs centaines de laneway houses ont déjà été construits à Vancouver.

Figure 4 - Scénario possible de développement urbain à Tremblay-sur-Mauldre (Miet 2012)
Le bâti existant est représenté en bleu, tandis que le magenta représente les potentialités de densification, issues des entretiens réalisés avec les habitants de la commune.

La ville de Christchurch, troisième ville en importance de la Nouvelle-Zélande, figure parmi ces cas d’exception; plusieurs de ses banlieues ont connu une période de densification intense au cours des années 1980 et 1990. À partir du tournant du XXe siècle, dans le contexte où les gens fuyaient les villes d’Angleterre, devenues trop denses et insalubres, Christchurch s’est rapidement forgé une réputation de cité-jardin dans laquelle on pouvait aspirer à posséder une résidence détachée avec jardin privé (Vallance, 2003). Après plusieurs décennies de développement guidées par un tel paradigme, le contexte économique défavorable des années 1970-80 et les coûts associés à l’étalement urbain incitèrent les décideurs à mettre en place une série de mesures visant à redévelopper les banlieues existantes. Ainsi, les années 1980-90 furent marqués par un phénomène de subdivision des lots, permettant aux propriétaires de maisons de banlieue de solidifier leurs assises financières (voir figure 5) (Vallance, 2003).

Le cas de Christchurch: les limites de la densification douce

Figure 5 - Vue satellite d’un secteur de St. Albans, à Christchurch, Nouvelle-Zélande. (Google Maps 2012)
Ce secteur de maisons unifamiliales a été le théâtre d’un important phénomène de densification. La profondeur des lots permet la division de ceux-ci, permettant la construction de nouvelles maisons en arrière-cour. Tandis que les entrées d’automobile demeurent habituellement partagées,  chaque résidence, y compris les nouvelles constructions en arrière-cour,  a sa propre cour. Les espaces extérieurs privés se retrouvent donc grandement  réduits, en plus d’être séparés par des écrans visuels.

Qu’en est-il des résultats de ce processus de densification aujourd’hui? Une étude s’est penchée sur les quartiers les plus touchés par la densification afin d’étudier chez les résidants l’évolution de la perception de leur quartier depuis l’épisode de densification douce. Les résultats de cette enquête qualitative démontrent que si l’idée de la densification douce peut paraître acceptable auprès des habitants, elle a beaucoup plus de chances d’être perçue de façon négative si l’ensoleillement, le degré d’intimité, la qualité des constructions ou la quantité de verdure sont compromis (Vallance 2005). En ce qui concerne la perte d’intimité, certains répondants invoquent une atteinte à la qualité de vie occasionnée par le fait que leurs nouveaux voisins aient maintenant une vue directe sur leur maison et leur jardin.


L’enquête suggère également que l’intensification de l’activité dans le quartier est perçue de façon négative. En fait, l’augmentation de la population s’est traduite par une augmentation considérable de la circulation automobile dans les rues, au point où la rue ne serait plus perçue comme un espace de socialisation où les gens peuvent se rencontrer, mais comme une voie de transit devenue dangereuse en raison du trafic (Vallance et al., 2003). Précisons cependant que les propriétés privées sont généralement délimités par des écrans physiques, y compris en bordure de rue, ce qui peut exacerber la perception de la rue en tant que voie de transit.


Bref, le cas de Christchurch dévoile les aspects pervers de la densification douce; on y dénote de la part des habitants un profond malaise en ce qui concerne les relations de voisinage, la perte d’intimité, et les transformations en regard de l’identité du quartier. Pour Desgrandchamps et al., « l’hostilité des habitants des lotissements envers les hypothèses de densification doit ainsi être écouté comme une volonté de maîtriser son existence en réduisant le plus possible la perte de la jouissance d’une vie paisible, le mode de vie pavillonnaire représentant un engagement dans une totalité qui n’a pas d’équivalent dans les autres types d’habitat » (2010 :123). Or, l’arrivée de nouvelles constructions peut compromettre les qualités d’intimité, d’espace, et de tranquillité recherchées par les habitants des banlieues. Comment s’y prendre alors pour densifier sans provoquer la grogne chez les habitants?

Il importe d’abord de rappeler que le cas de Christchurch évolue au sein d’un contexte socioculturel spécifique, où le concept de la banlieue-jardin est fortement ancré dans les représentations sociales locales depuis plus d’un siècle. Si les premiers lotissements de banlieue unifamiliale au Québec ne remontent essentiellement qu’à l’époque de l’après-guerre, les québécois sont nombreux à avoir fait le choix de ce mode d’habiter aujourd’hui. La densification des banlieues nous apparait comme une avenue très intéressante compte tenu de l’ampleur de la problématique de l’étalement urbain. Il faudra toutefois apprendre à bien doser et intégrer ce type de redéveloppement, afin de ne pas compromettre les qualités associées à ces milieux de vie. En outre, le fait d’accompagner les politiques de densification par un travail sur les espaces publics serait une voie intéressante à explorer. Le processus de densification du quartier St. Albans s’est déroulé sans efforts de redéfinition des espaces publics. En fait, la transformation des espaces verts en surfaces dures ou en volumes construits s’est entièrement effectuée dans le domaine privé : les larges rues asphaltées, qui forment l’essentiel de l’espace public, sont demeurées inchangées. Pourtant, ces espaces possèdent un potentiel de réaménagement qui mérite d'être exploité.



À cet effet, la ville de Surrey, en banlieue de Vancouver, a lancé une charrette de design intitulée Sensitive Urban Infill Project, dans laquelle les participants ont été invités à reconstruire la ville sur elle-même selon une approche à la fois durable et sensible, en croisant diverses échelles d’intervention. L’équipe derrière le projet a notamment élaboré une proposition pour le redéveloppement d’un secteur typique de banlieue de faible densité. La proposition de densification se veut intéressante, dans la mesure où le potentiel de densification s’accompagne s’une réflexion sur les espaces publics (voir figures 6 et 7). La largeur des rues est réduite afin de laisser place à plus de verdure, et des sentiers piétons permettent d’améliorer la perméabilité de l’ensemble.



Mais le design urbain à petite échelle ne peut à lui seul prendre en charge la transformation des banlieues d’après-guerre en des milieux plus durables. Une planification d’ensemble offrant plus de flexibilité en termes de choix modaux est nécessaire afin d’inciter les habitants à véritablement délaisser la voiture, sans quoi les habitants y verront inévitablement une détérioration de leur qualité de vie comme ce fut le cas à Christchurch. Une forte volonté politique et une concertation entre les acteurs impliqués dans la conception de la ville sera d’autant plus importante, afin de favoriser la concrétisation de projets initiés par les citoyens. Bref, les défis entourant la densification des tissus de banlieue sont nombreux, et dépassent largement les notions abordées dans le cadre de cet essai. Dans la région métropolitaine de Québec, le potentiel de redéveloppement est énorme, et il serait dommage de rater cette opportunité. Malgré de nombreux défauts tels leur rigidité morphologique, leur faible densité, leur configuration pensée pour l’automobile et leur faible niveau d’insertion dans la ville, les tissus de banlieue d’après-guerre forment un patrimoine qu’il importe de mettre en valeur et de se réapproprier de façon plus durable, à la manière du XIXe siècle.



 

Perspectives pour la densification douce

Figure 7 – Proposition de densification d’un cul-de-sac à Surrey – Perspective AVANT/APRÈS (http://sensitiveinfill.blogspot.ca)
Des interventions sur l’espace public peuvent contribuer à créer une ambiance agréable dans un secteur densifié.

Figure 6 – Proposition de densification résidentielle à Surrey

Plan AVANT/APRÈS (http://sensitiveinfill.blogspot.ca/)
La proposition d’aménagement inclut une réduction de l’emprise de la rue, des liens piétons entre les culs-de-sac, l’ajout d’unités de logement sur les terrains individuels.

Par Tristan Gagnon

Bibliographie

Desgrandchamps, G., Ferrand, M., Léger, J.-M., Le Roy, B., Le Roy, M. (2010). « Lotir les lotissements. Conditions architecturales, urbanistiques, et sociologiques de la densification douce de l’habitat individuel. » Rapport de recherche. PUCA-99-172. pp. 117-138.


Miet, D., Le Foll, B. (2010). « Faire émerger la ville durable des tissus pavillonnaires existants ». BIMBY. Document de travail.


Miet, D., Tanguy, A. (2012). « Premiers retours d’expériences : une démarche innovante de travail avec les habitants ». Build in my back yard/BIMBY. No 1(Août 2012).


Sabatier, B., Fordin, I. (2012). « Densifier le pavillonnaire ». Études foncières. No 155: pp. 12-16.


Tanguy, A. (2012). « Intégration de la filière BIMBY dans le PLU d’une commune francilienne : une concertation expérimentale avec les habitants pour encourager et maîtriser les initiatives individuelles. ». CETE Île-de-France.


Vallance, S. (2003). « A Changing Streetscape and Residents’ Responses: Infill Housing in Christchurch ». Lincoln University. Master of Applied Science thesis: 183 p.


Vallance, S., Perkins, H.C., Moore, K. (2005). « The results of making a city more compact: neighbours’ interpretation of urban infill ». Environment and Planning B: Planning and Design. 2005(32): pp. 715-733.


Sites internet


Build in my Back Yard. 2012. [En ligne] ˂www.bimby.fr˃ Page consultée le 9 novembre 2012.


«Sensitive Urban Infill Project – City of Surrey BC». 2012. [En ligne] ˂http://sensitiveinfill.blogspot.ca/˃ Page consultée le 23 novembre 2012.


Wood, D. « Living Small in Laneway Houses ». BC Business. [En ligne] ˂http://www.bcbusinessonline.ca/profiles-and-spotlights/industries/homes-and-real-estate/living-small-laneway-houses˃ Page consultée le 9 novembre 2012.



 

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